Dernier jour de pinasse...
Et si nous retournions une dernière fois sur le fleuve ?
...
J’ai mal dormi cette nuit.
Il y a d’abord eu le vent, puis ce bruit étrange et
répété, tout proche de la tente.
J’ai réveillé Henri. Il n’avait rien entendu et ne
semblait pas dans les meilleures dispositions pour calmer mes angoisses.
Il a cependant entrepris, sans conviction, de me
rassurer vaguement en m’assurant qu’il s’agissait d’une vache.
J’ai passé le reste de la nuit à épier le moindre
bruit et à surveiller que cet animal mystérieux ne s’approche pas plus.
Je me reposerai sur la pinasse.
Nous quittons Tignankour au lever du soleil.
Proche de l’îlot d’en face, je vois enfin ma vache.
Elle n’est pas seule…il y en a six… d’un genre
plutôt aquatique d’ailleurs !
C’est en réalité une famille…d’hippopotames !
Nous sommes fous de joie.
Sékou s’approche et voilà ces six pauvres « créatures
de Dieu » projetées sans préavis sous les feux de la rampe !
Les malheureuses sont méfiantes ; elles nous
observent du coin de l’œil.
Ablo se méfie aussi : il connaît les
hippopotames ; il sait que s’ils ne sont pas foncièrement méchants, ils
peuvent, par leur puissance faire chavirer les pinasses et provoquer des dégâts
matériels et humains irrémédiables.
Il a peur et demande à Sékou de s’éloigner.
Le fleuve est très large et toujours agité, ce
matin.
Il y a beaucoup de vent.
De nombreux rochers rendent la navigation difficile.
Sékou ralentit.
Ablo, fidèle à son poste avant, le guide par de
petits gestes discrets de la main, presque imperceptibles à nos regards non
avertis.
Nos deux pinassiers, forts de leur longue association sur le fleuve, redoublent d’attention et coordonnent leurs efforts pour éviter les obstacles tout en préservant notre bien être.
Souhaitons que tout cela ne perturbe pas trop leurs
prières.
Depuis lundi, ils n’en ont manquée aucune.
Ablo et Sékou sont très pratiquants.
Chaque jour, à l’heure venue, Ablo a quitté chèche
et bonnet rose pour faire ses ablutions
et prier discrètement.
Il a alors relayé Sékou à la barre pour lui
permettre de faire de même.
…
Deux énormes hippopotames se dissimulent parmi les
rochers, un couple selon Dolo.
Hier nous désespérions d’en voir.
Aujourd’hui, nous sommes comblés.
Papa et maman sont ravis : ils ont largement de
quoi rendre verts de jalousie quelques Altkirchois de leur connaissance.
Nous n’avons pas trouvé de poisson pour le repas de
midi.
Nous sommes le premier jour de Tabaski et les
pêcheurs sont tous en prière.
Dolo
décide alors de faire escale dans un village pour acheter…des poulets !
Le poulet malien est un animal vif et musclé.
Il ne se laisse pas prendre facilement.
Bientôt, c’est tout le village qui se lance dans une
folle poursuite.
Deux pauvres volatiles, certainement moins lestes,
finissent par se faire prendre.
Ablo les égorgent sur la plage, mais l’un d’entre
eux lui échappe et le pauvre oiseau, tête branlante, se précipite à l’eau via
les jambes d’un enfant qui, effrayé, bondit en hurlant.
En fidèle amie des bêtes, je refuse bien sûr
d’assister à la scène. Mais les mots amusés de mon père m’interpellent : « Putain,
le poulet va prendre un bain !!! »
J’assiste alors, impuissante et résignée, aux derniers battements d’ailes de l’oiseau, qui désespérément gaspille son dernier souffle de vie à tenter de sortir son bec de l’eau !
…
Il est 14h00.
Nous abordons Korioumé.
Là s’arrête notre voyage en pinasse.
Nous quittons nos deux pinassiers avec quelques
regrets.
Sékou et Ablo reprennent le fleuve ce soir.
J’ai la sensation que nos vacances s’achèvent une
première fois.
Sékou, qui n’a pas de sac de couchage, demande
discrètement à maman de bien vouloir lui en envoyer un à son retour en France.
Elle lui donne rendez-vous à l’hôtel Byblos à la fin
de notre séjour : papa lui donnera le sien.
Le taxi pour Tombouctou est prévu pour 16h00.
Nous occupons notre avance à observer les allers et
venues du port.
Une pinasse de touristes néerlandais débarque. Ils
doivent être une trentaine. Leur organisation, typiquement nordique, nous fait
sourire : en file indienne, ils se passent leurs bagages de la pinasse aux
taxis.
Un vieux couple d’étrangers embarque : monsieur
cherche son yacht, madame est hautaine avec les enfants. Leur allure de
bourgeois étriqués nous fait rire.
Les chauffeurs de taxis s’amusent avec insistance, à
réclamer à un enfant sourd et muet, le ballon neuf qu’il vient de recevoir pour
avoir rendu service à un pinassier du port. Il se défend courageusement, mais
il a peur et nous quitte en pleurant. Marie, Henri et moi sommes agacés.
Notre attente est aussi l’occasion pour quelques
enfants du village de venir nous saluer.
La valse des questions reprend.
L’un d’entre eux semble particulièrement espiègle.
Son camarade de classe nous explique, moqueur, qu’il est le cancre de l’école.
Nos quatre instituteurs à la retraite ne sont guère
étonnés : il en a bien le profil !
Henri se retrouve à la tête d’un joyeux petit groupe
qui s’applique à lui prouver son savoir sur un vieux carton d’eau minérale,
qui, faute d’avoir été vendu, sert maintenant de cahier d’écolier.
Chacun y appose son nom, soigneusement orthographié.
Un adolescent en vélo m’interpelle : contre
argent comptant, il me ramène les deux hippopotames qui prennent le soleil dans le port.
Je suis d’accord, … mais qu’il me les mène,
nous discuterons du prix ensuite !!
Il se sauve en riant.
Notre taxi arrive enfin.
Dolo monte avec nous.
Notre association prendra fin à Tombouctou.
...
Ainsi s'achève notre prériple en pinasse. La prochaine étape nous mènera à Tombouctou pour plusieurs jours...
Bonne journée !!!